Jean-François Charles
C'est sous le signe du Dieu
Rouge que Jean-François
Charles et Jean Dufaux sortent
en cette fin d'année 1994, le
quatrième volume des aventures
de Fox. Ce Dieu était maudit en
Egypte, ce qui n'est vraiment pas
le cas de Jean-François Charles.
Itinéraire d'un auteur heureux...
Quels ont été tes débuts dans la bande dessinée?
J'ai commencé par publier des caricatures dans La Libre
Belgique, La Nouvelle Gazette et L'Alliance Agricole. C'était mes toutes premières
publications et j'y pense encore avec une certaine émotion. Mais, je désirais
réaliser des cartoons, des dessins humoristiques. Et à 16 ans, je me suis
inscrit à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles où j'ai suivi deux années
de dessin et de gravure. Détail amusant, j'aurais pu y connaître mon coloriste
actuel Christian Crickx car il y suivait également des cours. Mais notre
rencontre ne s'est faite que beaucoup plus tard.
Ma première véritable bande dessinée fut publiée chez Dupuis dans le journal
de Spirou. Elle s'appelait Les Chevaliers du Pavé. Le scénario était de
Jean-Marie Brouyère. C'était dans les années 1976-1977. J'avais aussi dessiné
quelques Histoires de l'Oncle Paul qui ne furent jamais publiées. Les
Chevaliers du Pavé n'eurent pas le succès que j'avais espéré. Déçu, je
suis resté de long mois sans toucher un crayon. Ensuite, j'ai travaillé pour
les éditions Averbode. Cette maison s'occupait (et s'occupe toujours
d'ailleurs) publications pour les enfants telles Dauphin ou Tremplin. Il
s'agissait principalement d'un boulot d'illustration.
Ensuite vient la rencontre décisive avec Michel Deligne...
C'est un homme à qui la BD devrait rendre hommage pour tout ce qu'il a fait pour elle. Il a permis a nombre de jeunes auteurs de l'époque d'avoir leur chance et ils sont assez nombreux à être reconnus aujourd'hui. Je lui ai donc soumis mes dessins. Il a semblé être intéressé et m'a présenté Jan Bucquoy. Celui-ci avait un scénario en réserve dans ses tiroirs. Il me l'a proposé et cela a donné Le Bal du Rat mort. Cet album a très bien marché mais son ambiance oppressante m'avait fortement impressionné. C'est pourquoi je suis parti 7 semaines vivre au Canada avec mon épouse Maryse pour m'oxygéner et me changer les idées.
Est-ce là que l'idée des Pionniers du Nouveau Monde a germée ?
Oui, tout à fait. J'ai eu envie de dessiner de grands
espaces et de changer totalement de style et d'atmosphère. En revenant de ce
voyage, j'avais des images plein la tête, notamment ma visite au Michigan du
Fort Michilimackinac (qui signifie l'Ile de la Tortue en langage iroquois).
Grâce à la documentation que j'avais rassemblée et avec l'aide de Maryse qui
s'est tout de suite impliquée dans le projet, j'ai créé Les Pionniers du
Nouveau Monde toujours pour les éditions Deligne. Ce fut un agréable succès
ce qui me permit de sortir un tome 2. Peu de temps après, j'ai rencontré
Christian, mon coloriste.
Malheureusement, après cet album, ce fut la fin des éditions Deligne. Et
finalement, c'est chez Glénat que j'ai signé pour la suite de la série. Les
deux premiers albums bénéficièrent d'une remise en couleurs pour la réédition
chez ce nouvel éditeur.
Comment pourrais-tu nous situer la série ?
C'est l'histoire de personnages qui subissent l'Histoire, ils
n'y ont pas un rôle déterminant. Pour résumer l'époque, nous sommes à la
veille de la guerre de sept ans. Les Acadiens franglais sont devenus une menace
pour les colonies anglaises. A Londres, William Pitt, Premier Ministre, ordonne
leur déportation massive et l'occupation de leurs terres par des colons
anglais. Benjamin Graindal, Louise et leurs compagnons sont pris dans la
tourmente qui oppose les deux camps en Neuve-France. Leur seul but est de sortir
vivant de cet enfer et d'atteindre une région où il pourraient vivre
paisiblement. Bien sûr, cela ne se passe pas sans mal. Heureusement d'ailleurs,
car cela me permet de leur créer des tas de péripéties. Ces personnages sont
imaginaires, mais il y en a d'autres qui sont des personnages historiques, comme
Montcalm, Vaudreuil, Wolfe. Cela permet au lecteur de bien situer dans le temps
les actions du récit et cela apporte une plus grande crédibilité à
l'histoire.
Pour le quatrième tome, je me suis rendu en Angleterre, à Westerham le village
natal de Wolfe, pour recueillir de la documentation. Je me suis retrouvé en
plein 18 ème siècle dans sa maison, son jardin, son univers. Cela m'a permis
de mieux cerner la personnalité ambiguë du personnage: un général ambitieux
et sans pitié. Wolfe est un personnage qui est bien connu des Anglais encore
actuellement, il a un véritable statut de héros. Il est fascinant par son
physique, son jeune âge, ses origines et son côté vulnérable. Il était
d'origine modeste ce qui le mettait mal à l'aise face aux autres généraux. En
plus, il avait le mal de mer. Pas un de ses voyages ne se déroulait sans qu'il
soit horriblement malade. Tout ce qui est dit sur lui dans les Pionniers est
rigoureusement exact. Wolfe permet aussi de donner une vision anglaise duconflit
car avec les autres protagonistes du récit nous avons plutôt la vision du côté
franglais.
Comment se fait-il qu'Erwin Sels reprenne maintenant le dessin de la série ?
Erwin Sels - alias Ersel - est un dessinateur flamand d'une trentaine d'année. Son père était lui aussi dessinateur, on lui doit notamment quelques-uns des plus beaux Bessy. Erwin est un véritable passionné de tout ce qui rapporte au Canada. Il possède une documentation impressionnante sur le sujet. Je l'ai rencontré au festival de Middelkerke où il m'a demandé de lui écrire un scénario des Pionniers. Je ne le connaissais pas mais quand j'ai vu son travail, j'ai été convaincu qu'il pouvait parfaitement assumer cette reprise. C'est une excellente collaboration. Il est très motivé et il m'a redonné le plaisir de travailler sur la série. Cela me donne envie de développer d'autres personnages fictifs ou historiques dont Choiseul, Premier Ministre franglais en 1760.
Quel sera le thème des nouveaux épisodes ?
Choiseul, qui était quelqu'un de très intelligent, a dit en 1760: "la victoire des Anglais sur les Franglais au Canada causera leur défaite aux Amériques". La révolution américaine de 1776 lui donnera raison. Pour hâter cette situation, Choiseul va développer, sous le couvert d'une compagnie de fourrures, un réseau d'espionnage en Angleterre et au Nouveau Monde. L'histoire va ainsi se dérouler dans tout le Canada, de Québec aux Rocheuses.
On se souvient de la sortie, fin 1988, d'un superbe album d'illustrations. Il était grand, il avait un drôle de format, il s'appelait Sagamore...
C'est un projet qui sommeillait depuis longtemps dans mes tiroirs. Juste quelques dessins que j'avais réalisés comme ça pour passer le temps. Un jour, je les ai montrés chez Dupuis où l'on m'a encouragé à continuer. Avec Christian, mon coloriste, nous y travaillions en douceur, pour le plaisir. Puis, après les Pionniers 4, nous nous y sommes mis à fond pendant plus d'un an. C'était un travail de fou. On peut dire que c'était notre épreuve d'artistes car quand l'album est sorti chez Glénat, il n'y a eu aucune promotion particulière. Mais pour nous, il fallait absolument que sorte Sagamore, sinon nous serions devenus dingues. C'est un album qui s'est échelonné sur plusieurs années tant le dessin et la couleur demandaient de la minutie et le souci du détail.
Pourquoi avoir choisi un format à l'italienne ?
Sagamore est l'histoire d'un peuple, de leur manière de vivre et surtout de leurs différents lieux d'existence. C'est un allégorique, un album d'illustrations composées d'une foule de petits personnages. C'est un univers de démesure. Il fallait que le format de l'album le soit aussi et qu'il permette au lecteur de se perdre dans les dessins.
Fox est ta plus récente série.
Pourquoi avoir choisi de te lancer dans une nouvelle série et pourquoi
avec un scénariste ?
Le tome 6 des Pionniers marquait la fin d'un cycle. J'étais
un peu saturé par le Canada et tout ce qui s'y rapportait J'éprouvais le
besoin de faire autre chose, quelque chose de plus contemporain. J'avais envie
de créer un héros que je puisse faire voyager n'importe où, de manière à ne
pas être limité à un environnement précis.
Le choix des années '50 pour l'époque du récit est venu du fait que je l'apprécie
tout particulièrement car je trouve que les objets, les maisons y ont quelque
chose de plus personnel, de plus humain qu'actuellement. Je n'aimerais pas trop
dessiner la ville, les voitures, les objets usuels d'aujourd'hui.
Au départ, le personnage ne s'appelait pas Fox et il était plutôt dessinateur
de BD. Rien d'extraordinaire, n'est-ce pas? (Rires). II devait lutter contre des
sociétés secrètes avec en arrière plan une malédiction liée à un livre
aux étranges pouvoirs. Je le voyais dans la peau de Gary Grant. J'ai alors été
faire des repérages en Egypte. C'est un très beau pays tout à fait fascinant.
C'est, entre autres, pour cette raison que je l'ai choisi comme. cadre pour les
premières aventures de Fox. Lors de la mise en scénario, je n'arrivais pas à
exprimer tout ce que je voulais mettre dans cette histoire. J'ai rencontré Jean
Dufaux au festival de Durbuy. Il s'est rapidement intéressé au projet.
Jean est quelqu'un de très sensible et il a rapidement compris ce que je désirais
exprimer. On pourrait le comparer à un tailleur. Il vous écoute, comprend vos
désirs et réalise un travail véritablement sur mesure. La force de Jean,
c'est le polar, le fantastique et la psychologie des personnages féminins
(comme Adrianna Puckett). De cette rencontre est né Fox ainsi qu'une réelle
amitié et l'envie de continuer une collaboration efficace.
Quelle différence cela fait-il de travailler avec un scénariste ?
Le travail en équipe me permet de me concentrer à 100% sur le dessin. Et je trouve qu'à une époque où la bande dessinée est arrivée à un niveau d'exigence et de réalisation très élevé, c'est très important. Il faut énormément de courage et de volonté pour assumer seul le dessin, le scénario et les couleurs. Je connais des auteurs qui le font comme André Benn, par exemple, je leur tire mon chapeau!
Pour en revenir à Fox, pourquoi avoir finalement préféré le style baroudeur à celui de dessinateur ?
Fox est un ancien pilote de l'US Air Force, grand amateur de Coca-Cola et qui plaît aux jeunes filles. Ce style était plus porteur que l'autre à l'arrivée.
Le Dieu Rouge, quatrième volet de la série, est-il la fin de l'histoire ?
C'est le dénouement du Livre Maudit Cet album clôture le
cycle égyptien.. Toute la lumiere est faite sur les questions qu'on a pu se
poser durant les épisodes précédents. Même s'il est parfois dangereux de
vouloir en savoir trop...
Je tiens à dire que Christian Crickx a fait un superbe travail au niveau des
couleurs. Je crois que ce sera, pour tous, un album de plénitude.
Et la suite ?
Le cinquième Fox nous emmènera dans une autre partie du monde.
Laquelle ?
On s'intéresse à la Turquie, aux U.S.A., à l'Afrique, aux Indes...
Ce travail avec un scénariste te donne-t-il envie de recommencer l'expérience avec d'autres ?
Bien sûr! J'ai déjà d'autres projets. Mais c'est toujours avec Jean Dufaux. On ne change pas une équipe qui marche! Je préfère ne pas en dire plus pour l'instant...
Cédric Lang, Turgay Kurt et Stanley Grafic dans Auracan No 8 en décembre 1994