La Lettre de Dargaud No 38 de novembre et décembre 1997 - LES INVITES

Il est le dessinateur de Fox

Jean-François Charles: "Je n'ai jamais idolâtré les dessinateurs."

Aviez-vous conscience à l'époque d'être un précurseur?

Non, cela s'est fait un peu par hasard. C'est à la suite d'un voyage aux Etats-Unis que j'ai créé la série. Moi je rêvais de faire un western mais c'est un domaine un peu encombré en BD. Alors je me suis souvenu de cette période du Canada et des débuts des Etats-Unis... Vous le voyez, rien de prémédité dans le genre historique.

Il n'était pas question d'aller là-bas pour un repérage?

Non, pas du tout. L'idée était d'aller embrasser les cousins lointains. Mais ça a été une révélation. Enfant aussi, j'étais fasciné par les histoires de trappeurs...

C'est plus une histoire de personnages qu'une aventure épique, non?

Le premier cycle de la série (les six premiers tomes) était peut-être trop historique... Alors on a voulu revenir à quelque chose de plus humain. Ce sont des personnages avec lesquels Maryse et moi-même évoluons d'album en album. Ce sont des gens de peu d'importance, des petites gens qui sont pris dans un décor et qui survivent dans un environnement qui les dépasse. Notre but n'est pas de les faire participer à des événements historiques à tout prix mais de les faire survivre dans ce contexte particulier.

Erwin Sels dessine aujourd'hui la série à votre place. Pourquoi ?

Après avoir dessiné six albums de la série, il est vrai que j'éprouvais une petite lassitude... J'avais dessiné les forêts canadiennes du XVIIIè siècle pendant presque dix ans et j'avais besoin de découvrir d'autres horizons. Bien qu'on ait laissé la série de côté quelque temps pour démarrer Fox, elle a continué a bien fonctionner. L'idée de poursuivre s'est alors imposée. Restait à trouver un dessinateur intéressé, cela n'était pas évident. Le miracle a eu lieu puisque Sels était passionné par cette époque sur laquelle il disposait d'une documentation incroyable. Cela tient au fait, chose rare en BD, qu'il est le fils d'un dessinateur. Son père travaillait avec Vandersteen et avait lui aussi toujours rêvé de faire une BD sur ce thème. C'est une jolie histoire, non?

Vous êtes alors reparti pour un nouveau cycle?

Oui, et entre-temps le cinéma nous avait donne Le Demier des Mohicans qui est un véritable chef-d'oeuvre et qui avait rendu un peu aux Indiens leur place. II y a eu également Danse avec les Loups, même si I'époque est différente. L'envie de repartir dans les grands espaces s'est imposée mais on a tenu à s'échapper de la réalité des grands événements historiques.

Lorsque vous êtes scénariste, vous privilégiez une narration beaucoup plus linéaire et classique que ce que vous faites avec Fox.

Bien sûr, d'où I'intérêt pour moi d'être passé à autre chose. C'est passionnant de dessiner une histoire scenarisée par Jean Dufaux, sans avoir le souci de la narration. Je peux me consacrer au dessin et à I'imaginaire du scénariste. Lorsque j'écris moi-même, je visualise immédiatement le dessin, alors que pour Fox, c'est une véritable collaboration, je dois aller à la rencontre de ce qu'a imaginé Jean.

Le contexte des années cinquante, c'était un désir de votre part?

C'est une époque très utilisée en BD, au cinéma et en littérature mais c'est normal... Imaginez Fox en 97, cela fait sept ans qu'il a continué à vivre et, à supposer qu'il ait une voiture dans le premier tome, elle serait probablement dépassée dans la suite. Sa façon de s'habiller daterait très vite. L'avantage des années 50, c'est qu'on les connaît. Elles sont un peu mythiques.

De la même façon, le héros paraît très archétypal...

Il me semble très cerné au contraire, bien qu'encore à découvrir. C'est dû au fait qu'il parle très peu d'où une image un peu mystérieuse. Mais on apprend des choses sur lui au fur et à mesure, comme on découvre quelqu'un dans la vie.

On sait qu'il fume par exemple, et depuis le demier album, qu'il est contre la peine de mort. II prend forme peu à peu.

Vous avez des références?

Non, pas particulièrement. Je n'ai jamais idolâtré de dessinateurs. J'aime de très nombreux auteurs mais aucun ne m'a influencé plus qu'un autre. J'admire autant Giraud que Peyo, d'où sans doute un style relativement personnel bien que classique. J'ai toujours hésité entre I'illustration, le dessin humoristique, la caricature, la BD, la peinture et la gravure... J'ai perdu beaucoup de temps à cause de cela.

Vous continuez de dessiner les couvertures des Pionniers.

Ah oui, là c'est la récompense du travail. Les couvertures sont des toiles, ce qui n'est pas fréquent en BD. La peinture à I'huile a toujours été un rêve pour moi. Je m'étais dit qu'à cinquante ans, j'arrêterai la BD pour m'y consacrer et que je ne vivrai plus que de mes droits d'auteur. Je crois que c'est un peu râpé! Ces couvertures sont un petit plaisir que je me réserve. Cette discipline me paraît beaucoup plus évidente que la réalisation d'une planche.

CF & BPY

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